• Titre : Tu sais, lectrice

    Un couple entre dans un lieu dont ils ne savent presque rien.
    L’homme, protecteur, serre la hanche de sa compagne en demandant :

    — C’est cher ?

    Dès les premiers instants, quelque chose plane. Une atmosphère étrange, faite de regards, de silence et de non-dits.
    La patronne du lieu répond calmement :

    — Vous comprendrez en temps voulu. Ici, on ne force pas les portes, on les laisse s’ouvrir d’elles-mêmes.

    Autour d’eux, des murmures, des souffles, des visages à demi éclairés dans une lumière dorée.
    Des corps en mouvement, des regards perdus, chacun enfermé dans son propre plaisir, sa propre bulle.
    Clara observe, curieuse, troublée.
    Une porte bat doucement, au rythme de son cœur.
    Elle hésite, puis décide d’entrer.

    Derrière, un vigile massif les suit. Ses pas lourds résonnent.
    Ses bijoux tintent, lourds comme un avertissement.
    Il les interroge :

    — Vous êtes mariés ?

    Ils mentent. “Oui”, disent-ils ensemble, alors qu’ils ne le sont pas.
    L’homme moustachu les jauge, puis s’efface.
    La porte s’ouvre.

    C’est alors qu’ils la voient — la patronne.
    Elle n’a pas besoin de parler pour qu’on la remarque.
    À ses côtés, une jeune fille. Sa fille ? Une employée ? Une simple visiteuse ?
    Ou peut-être… toi, lectrice.
    Oui, toi qui lis ces lignes.

    Elle repart, quelque part là où toi, tu sais.
    Et soudain, le texte se referme sur celle qui le lit.
    Plus moyen de distinguer Clara, la patronne, ou la lectrice :
    elles se confondent.

    Une voix semble chuchoter :

     

    “Tu crois lire une histoire, mais c’est toi qu’on regarde.
    À présent, tu fais partie de ce lieu.
    Et si tu continues à tourner les pages…
    c’est toi qui entreras.”

    no comment
  • Le bateau bleu pâle

    Le bateau bleu pâle est là.
    Toujours là.
    Sa vitre barrée d’un trait blanc, un contreplacé peint à la main, un peu de travers, comme un signe qu’on ne comprend plus.
    Stationné depuis longtemps, sans plus bouger.
    Des jours, des semaines, des mois, peut-être même des années.
    Immobile, posé là entre le fleuve et la route.
    Une route un peu sablée, mélangée avec de la terre, parfois mouillée, boueuse quand il pleut vraiment fort.
    C’est là qu’il reste, le bateau, garé comme une voiture oubliée, abandonnée, et pourtant mystérieuse.

    On dirait qu’il est dans une rue à sens inverse, une rue étrange qui aurait deux trottoirs :
    un à droite, tout près de lui, et un autre à gauche, dont il faudrait faire trente grands pas enjambés pour aller jusqu’à la rive gauche.
    Entre les deux, il occupe tout l’espace, comme s’il appartenait à personne.
    Ce bateau-là, il attire les yeux.
    Il intrigue les curieux, et les curieux deviennent, sans le savoir, regardés par lui.
    Parce qu’il semble vivant, un peu.
    Comme s’il voyait, comme s’il savait.

    Autour, le fleuve brille selon la saison.
    Au printemps, il fait fleurir des reflets d’eau douce sur la coque.
    À l’automne, les fleurs mortes viennent s’y coller, un peu partout, même sur le pont, même sur la vitre barrée.
    Personne ne vient le nettoyer.
    On dirait qu’il s’efface doucement, qu’il devient souvenir.

    L’hiver, il change, il se dénude.
    Les branches se dépouillent, le vent devient plus fort,
    et les passants, pressés, en marchant, ralentissent un peu leur course —
    qu’ils fassent leur jogging, qu’ils passent à vélo ou en trottinette —
    mais ne prennent plus le temps de l’admirer comme avant.

    Ils le voient encore, plus dégarni, mais sans le voir vraiment :
    sans se demander qui il est, ce bateau, ni à qui il appartient.

    Ceux qui passent devant lui ne cherchent plus à savourer sa forme,
    sa taille, sa juste place dans le décor abandonné.

    Mais certains, parfois, s’arrêtent.Certaines en parlent parfois : il y aurait une rumeur.
    Les curieuses — plus nombreuses que les curieux — se sont renseignées.
    Ils disent qu’ils entendent de la musique à l’intérieur.
    Une musique faible, étouffée, comme à travers des murs épais.
    On ne comprend pas les paroles.
    Peut-être qu’il n’y en a pas.
    Peut-être que c’est le bateau lui-même qui chante, d’une voix lente, enfermée, pour ne pas être entendue.

    Le soir, quand la lumière baisse, il semble qu’il bouge un peu.
    Pas vraiment — juste un frémissement, un souffle dans l’air.
    Son bleu devient plus pâle encore, presque gris.
    Il a l’air fatigué, mais patient.
    Il reste là, entre la terre et le fleuve, entre deux mondes.
    Ni vraiment mort, ni tout à fait vivant.
    Comme s’il attendait quelqu’un, ou quelque chose.
    Peut-être le retour de l’eau, ou le retour d’une main humaine qui saurait à nouveau le conduire.

    Et la rumeur continue.
    On dit qu’une nuit, la porte s’est ouverte.
    Oui, une vraie porte — qu’on ne voyait pas avant — s’est soudain entrebâillée dans le flanc du bateau.
    Une lumière en est sortie, douce, dorée, presque chaude.
    Certains passants l’ont vue. D’autres ont dit avoir entendu de la musique, cette fois clairement.
    Pas un simple son étouffé, non : une vraie mélodie, humaine, vivante.
    Des voix s’y mêlaient — des voix chaleureuses, riantes, comme celles qu’on entend dans un petit bistrot, tard le soir, quand tout le monde parle doucement.

    On aurait même aperçu des silhouettes à l’intérieur.
    Des visages, paraît-il — ou peut-être des masques.
    Des regards cachés derrière la vitre blanche, des figures qui semblaient vouloir se montrer, mais sans vraiment oser.
    Comme si elles savaient qu’on les regardait, et qu’elles préféraient rester de l’autre côté, là où le monde est plus lent, plus secret.

    Mais personne n’a jamais osé s’approcher trop près.
    On observe, de loin, en silence.
    Car on dit que le bateau vit la nuit.
    Le jour, il dort, figé, presque vide.
    Mais quand le soleil se couche, quand le fleuve devient noir et que les lampadaires s’allument un à un, alors le bateau s’éveille.
    Ses vitres frémissent, sa coque respire.
    Il se remplit de murmures, de rires étouffés, de musique qui flotte entre les ombres.

    Parce que ce bateau bleu pâle, on le sent — il garde un secret.
    Un secret ancien, profond, silencieux.
    Un secret qui n’appartient pas à tout le monde,
    mais seulement à quelques personnes privées,
    à ceux qui connaissent la nuit,
    et qui savent que certaines lumières ne brillent que pour ceux qui  en demandent du bien.

    Le bateau bleu pâle (continuation)

    Une nuit, pourtant, quelqu’un s’est approché.
    Une femme — ou peut-être un homme— on ne sait plus.

    Un passant, un couple fatigué, curieux, attiré sans savoir pourquoi.
    Ils marchaient lentement. Lui, les mains dans les poches, le regard happé par la lueur qui vacillait à l’intérieur du bateau.
    Elle suivait, un peu en retrait, les épaules serrées sous son manteau, écoutant le froissement régulier de leurs pas sur les planches du quai.

    La lumière semblait respirer, comme un être vivant. Par instants, elle s’éteignait presque, puis renaissait, fragile et obstinée.
    Autour d’eux, le vent apportait l’odeur du sel et du bois mouillé, le murmure des cordages qui se heurtaient contre les mâts.
    Personne ne parlait. Il y avait dans l’air quelque chose d’ancien, une attente suspendue, comme si la nuit retenait son souffle.

    Le couple s’arrêta au bord du quai.
    Le bateau, immobile, paraissait attendre lui aussi.
    Elle posa la main sur le bras de son compagnon — geste hésitant, presque enfantin.
    — Tu crois qu’il y a quelqu’un ? demanda-t-elle à voix basse.

    Il ne répondit pas. Son regard ne quittait pas la lumière, cette flamme tremblante au cœur du silence, comme un appel venu d’un autre temps.

     

    Le vent soufflait un peu, la route brillait de pluie.
    Tout semblait endormi, sauf cette lumière à l’entrée.
    Cette porte, d’un rouge vif, brillait avec une petite fenêtre métallique étrange.
    Cette porte avait une sonnerie.
    Intriguée par la curiosité, et par une rumeur entendue — certains amis connaisseurs disaient que c’était un bon endroit de restauration, de danse, de musique, de boisson à volonté, et d’autres surprises…
    « Autres surprises », pensait ce couple. Quelle est donc cette surprise inattendue ?

    Curieuse, sans demander l’avis de son compagnon, elle sonna.
    Lui, surpris, ne s’y attendait pas.
    Il était là, à côté d’elle, en pleine discussion, quand elle prit soudain cette décision sans même lui en parler.

    Soudain, la petite fenêtre blindée s’ouvrit.
    Ils virent alors une autre vitre derrière, et celle-ci s’ouvrit aussitôt.
    Une musique forte jaillit,éclata, comme si le son leur frappait le visage.

    Un homme apparut derrière la vitre, le regard méfiant.
    Un monsieur, d’un ton autoritaire, parla d’une façon brusque et agressive

    La lumière intérieure était jaune et tremblante, comme si elle hésitait à éclairer ce qu’elle montrait.
    L’homme resta un instant immobile, puis sa bouche s’ouvrit lentement.

    — Que désirez-vous ? demanda-t-il d’un ton sec.

    Alors, elle se rapprocha de son compagnon, instinctivement, comme pour se protéger.
    Lui, surpris, retira brusquement sa main de sa poche.


    Le couple, surpris par la brusquerie de la question, resta silencieux une seconde.
    Le vent dehors soufflait en petites rafales, faisant claquer le bas de la porte contre son cadre.
    Elle finit par oser répondre :

    — On a entendu parler de cet endroit… On voulait juste voir.

    L’homme fronça les sourcils, ses yeux brillant comme deux fentes d’or.
    — C’est une soirée privée, ici. Il faut une carte de membre.

    — Ah bon ? fit-elle, un peu déçue, la voix plus douce. Et… si on n’en a pas ?

    — Dans ce cas, vous payez le double. Les membres, eux, c’est prélevé directement sur leur compte chaque mois.

    — C’est cher ? demanda l’homme, la main posée derrière la hanche de sa compagne.
    Il la serra un peu plus fort, un geste à la fois protecteur et possessif, comme s’il voulait s’assurer qu’elle ne glisse pas dans cet endroit inconnu.

    — Ça dépend, répondit l’autre d’une voix sèche. Mais ça vaut le coup. Musique, danse, repas, boissons à volonté… et quelques surprises.

    Il avait insisté sur le dernier mot, comme s’il contenait un secret.

    Ils échangèrent un regard.
    — On entre ? chuchota-t-elle à son compagnon, les yeux brillants d’une curiosité qu’elle peinait à cacher.

    — Comme tu veux, répondit-il, un peu hésitant. Son regard passait de la vitre à la rue sombre derrière eux, comme s’il cherchait une issue.

    — Très bien, dit-elle enfin. On entre.

    Le silence s’épaissit.
    L’homme derrière la vitre s’approcha, si près que leur souffle se confondit un instant sur le verre froid.
    C’est alors qu’ils distinguèrent mieux son visage : une barbe noire, fournie, qui semblait avaler la moitié de son visage, des joues épaisses, une mâchoire puissante.
    Sa tête évoquait celle d’un ours furieux, massif et ténébreux.
    Quand il parla, trois dents en or étincelèrent dans la lumière tremblotante.

    — Avant d’entrer, je dois vous prévenir, dit-il.
    Sa voix, grave et lente, vibrait comme un avertissement.
    — Si vous êtes un simple couple, camarades, copains, copines, amants, amantes, concubins ou concubines… ce n’est pas à cette adresse. Ici, il faut être mariés.

    Un silence lourd s’installa.
    La femme baissa les yeux, son cœur battant plus fort.
    L’homme fronça les sourcils, intrigué.
    — Mariés ? répéta-t-il, comme s’il n’était pas certain d’avoir bien entendu.

    Le gardien esquissa un sourire étrange, presque carnassier.
    — C’est la règle, dit-il simplement. Et croyez-moi… elle n’est pas faite pour rien.

     

    Cet homme apparut, le regard méfiant, la main encore posée sur le battant de la porte. Sa moustache épaisse tremblait un peu, comme s’il hésitait entre la colère et la curiosité.
    — Que désirez-vous ? demanda-t-il d’un ton sec. Êtes-vous mariés… ou pas ?

    Le couple se figea. Le silence dura une seconde, peut-être deux, le temps que leurs regards se croisent.
    Elle, les yeux brillants, répondit la première, presque dans un souffle :
    — Oui.

    Lui prit aussitôt le relais, d’une voix plus ferme, comme pour couvrir son hésitation :
    — Oui, on est mariés.

    Mais au fond d’eux, ils savaient que c’était faux. Ni mariés, ni fiancés — simplement deux êtres venus là, poussés par la curiosité, ou peut-être par autre chose qu’ils n’osaient pas nommer.

    Le vigile plissa les yeux, méfiant.
    — Vous savez où vous êtes, ici ? Ce n’est pas un lieu pour les curieux.

    L’homme haussa les épaules, tenta un sourire.
    — On a entendu parler de cet endroit… On voulait juste voir s’il y avait vraiment des couples mariés.

    Le vigile soupira, son regard se radoucit un peu.
    — Il y en a, oui. Et d’autres aussi. Mais ici, personne ne demande de preuves.
    Il écarta la porte d’un geste lent.
    — Entrez, si vous tenez vraiment à savoir.

    Le couple échangea un dernier regard. Le cœur battant, ils franchirent le seuil sans un mot.
    La discussion était close, mais quelque chose venait de commencer.

    L’homme, avec ses bijoux lourds qui ressemblaient à un poing américain, marchait comme un canard, en roulant des épaules.
    Derrière sa nuque, les plis de graisse bougeaient à chaque pas.
    On entendait ses pas lourds résonner : il devait bien faire cent trente kilos, pour un mètre soixante et onze.
    Devant le couple, il avançait d’une façon inquiète.
    L’homme au visage d’ours fronça les sourcils.
    — C’est une soirée privée, ici. Il faut une carte de membre.

    — Ah bon ? fit-elle, un peu déçue. Et… si on n’en a pas ?

    — Dans ce cas, vous payez le double. Les membres, eux, c’est prélevé directement sur leur compte chaque mois.

    —— C’est cher ? demanda l’homme, la main posée derrière la hanche de sa compagne. Il la serra un peu plus fort, un geste à la fois protecteur et possessif.

    — Ça dépend, répondit l’autre d’une voix d’ogre, sèche et terrible,
    de quoi faire peur à tout le monde.Mais ça vaut le coup. Musique, danse, repas, boissons à volonté… et quelques surprises.

    Ils échangèrent un regard.
    — On entre ? chuchota-t-elle à son compagnon.

    — Comme tu veux, répondit-il, un peu hésitant.

    — Très bien, dit-elle enfin. On entre.

    L’homme hocha la tête et ouvrit la lourde porte métallique d’une couleur étrange.
    — Bienvenue, lança-t-il. Passez à la caisse, là-bas, à quelques mètres.Le couple franchit la porte avec une curiosité presque naïve.
    Le lieu semblait suspendu hors du temps — ni vraiment ancien, ni vraiment moderne.
    Des lueurs ambrées glissaient sur les murs tapissés de velours sombre, et un parfum d’ambre et de fumée flottait dans l’air.

    Ils avancèrent lentement.
    Devant eux, une jeune femme d’une vingtaine d’années se tenait derrière un comptoir.
    Elle les observa avec un léger sourire.

    — Bonsoir, dit-elle, ses dents cerclées de bagues métalliques brillant sous la lumière.
    Première fois ici ?

    — Oui…, murmura la femme. On… on ne savait pas trop à quoi s’attendre,
    surprise de la voir avec ce dentier étrange.

    — Alors, vous allez être surpris, répondit-elle, le regard brillant.
    Très surpris.

    Quelques instants plus tard, elle voulut nous présenter la patronne.

    Ils avancèrent lentement,elle traversait la salle comme on traverse une histoire.
    Devant eux, une grande dame se tenait derrière un bar.
    Elle les observa avec un léger sourire.

    — Bonsoir, dit-elle. Première fois ici ?

    — Oui, murmura la femme. On… on ne savait pas trop à quoi s’attendre.

    — Alors, vous allez être surpris, répondit la dame, le regard brillant. Très surpris.

    C’est alors qu’ils la virent : la patronne.
    Elle n’avait pas besoin de parler pour qu’on la remarque.
    D’un pas calme, presque cérémoniel, elle s’avança.
    À côté d’elle, une petite jeune — sa fille, peut-être ? Ou une étudiante ?

    Et si c’était toi, lectrice, qui passais par là sans le savoir ?

    La jeune femme retourna à sa place, ou peut-être ailleurs — à l’accueil, ou pour faire autre chose.
    Ou alors… elle n’était pas employée du tout. Peut-être qu’elle était membre, comme les autres.

    À toi, maintenant, d’en décider.
    De prolonger cette histoire alléchante, à ta manière.

     

    La patronne resta immobile un instant, son regard glissant lentement sur le couple.
    On aurait dit qu’elle savait déjà tout d’eux — avant même qu’ils ne disent un mot.

    — Vous êtes venus voir, n’est-ce pas ? demanda-t-elle d’une voix douce, mais coupante comme une lame.
    L’homme hocha la tête, hésitant. Clara, elle, baissa les yeux, gênée sans savoir pourquoi.

    La patronne sourit, presque amusée.
    — Ici, on ne regarde pas. On vit. Ceux qui veulent comprendre doivent rester. Les autres, il vaut mieux qu’ils partent tout de suite.

    Un silence tomba.
    Dans le fond de la salle, la lumière dorée se reflétait encore sur les visages.
    La jeune fille d’avant, celle qui pouvait être sa fille… ou quelqu’un d’autre, les observait en coin.

    Clara sentit quelque chose changer autour d’elle — comme si l’air s’était épaissi.
    La patronne fit un pas de côté et montra la porte ouverte derrière elle.
    — Alors ? Vous entrez ?

     

    Elle devait avoir quarante-cinq ou cinquante ans, mais son âge semblait être un détail, tant elle le portait avec assurance.
    Son visage fin, encadré de cheveux noirs striés d’argent, gardait une expression douce, mais son regard trahissait une intelligence vive, presque ironique.
    Tout en elle évoquait l’expérience, la maîtrise, la mémoire des choses.

    Sa tenue était à son image : singulière et élégante.
    Elle portait une longue veste en velours prune, brodée de fils cuivrés qui captaient la lumière.
    Sous la veste, un corsage noir au col haut, orné d’une fine chaîne dorée.
    Autour de sa taille, une ceinture de cuir usé, où pendait un petit médaillon ancien — peut-être un souvenir, peut-être un secret.
    Ses bottes de cuir patiné montaient haut sur la jambe, et chaque pas qu’elle faisait semblait résonner avec autorité.

    Le patron, autrefois maître du lieu, semblait s’être effacé pour elle.
    C’est elle, désormais, qui racontait les histoires — ou plutôt, qui savait quand les taire.

     

    Elle partit, là où toi, lectrice, tu sais.
    Oui, toi. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre.

    Tu crois encore que tu lis cette histoire de l’extérieur ?
    Regarde bien : ce n’est plus Clara, ce n’est plus la patronne — c’est toi qu’on appelle, toi qu’on attend, toi qu’on observe.

    Chaque mot te rapproche un peu plus de cet endroit.

    Tu peux encore fermer le livre, sortir d’ici, prétendre que rien ne t’appelle.

    Mais si tu continues… alors, tu feras partie de ce qui suit.

    La patronne du club a quand même tenu à nous raconter l’histoire de t*i « Cette jeune fille de  ( 19 ans ou pas )qui quand elle vient, a sept bites en même temps dont deux dans la bouche ». Mais ne sortons pas les choses de leur contexte, il nous en parlait parce qu’il n’en revenait pas : « Si elle est comme ça à 20 ans, qu’est-ce qu’elle va être à 40 ans ? ». Le mystère reste entier."

     

    — Vous savez, dit-elle en souriant au couple, ce club garde les traces de tous ceux qui sont passés ici. Certains reviennent, d’autres… ne partent jamais vraiment.

    Clara, la femme du couple, sentit un mélange d’éblouissement et de crainte.
    Il y avait dans cette femme quelque chose d’intimidant et d’envoûtant à la fois — une force tranquille qui faisait oublier le tumulte du monde extérieur.

    La patronne s’approcha du bar, caressa du bout des doigts un verre de cristal, puis ajouta :
    — Chaque histoire a son mystère. Ici, nous n’en expliquons jamais tout. Ce serait leur enlever leur éclat.

    Un sourire complice passa entre les deux femmes.
    Clara sut alors que cette soirée ne serait pas comme les autres.

    Le mystère, cette fois encore, resta entier.

     

     

    Le couple n’en revenait pas.
    De l’extérieur, la péniche paraissait modeste, presque ordinaire — une coque sombre amarrée au quai, battue par le vent du fleuve.
    Mais une fois à l’intérieur, tout changeait.
    Les couloirs semblaient s’étirer à l’infini, les salles se succédaient sans logique apparente, comme si le bateau obéissait à une géométrie secrète.

    La patronne, drapée dans sa longue veste de velours, marchait devant eux avec la lenteur d’une guide qui connaît les secrets de chaque planche, de chaque murmure du bois.

    — Vous vous demandez comment un simple bateau peut contenir tout cela, dit-elle sans se retourner.
    — Oui… murmura Clara.
    — Ce n’est pas un simple bateau, répondit la patronne. Il s’agrandit à mesure que les histoires s’y tissent.

    Ils arrivèrent dans une première salle, ronde et claire, où trônait une grande table de marbre noir.
    Sur celle-ci, des objets étranges : des flacons d’huiles parfumées, des pinceaux fins, des tissus pliés avec une précision maniaque.
    Rien d’obscène, tout semblait préparé pour un rituel, ou une cérémonie oubliée.

    Les murs étaient couverts de miroirs anciens, certains piqués de taches dorées, d’autres si clairs qu’on s’y perdait presque.
    Une lampe suspendue, faite de verre teinté et de cuivre, projetait des reflets mouvants sur les visages.

    — Chaque salle a son atmosphère, expliqua la patronne. Ici, tout est dédié au soin, à la préparation, à la transformation.

    Dans une autre pièce, ils découvrirent des coffrets de bois ouvragé contenant des accessoires d’apparence médicale ou artistique : de petits pots de pommade, des gants de soie, des rubans, des carnets, des instruments d’une autre époque.
    Clara effleura un pot de porcelaine où l’on distinguait une étiquette à moitié effacée : Élixir d’ambre et de lumière.

    Plus loin encore, une salle à la lumière bleue semblait flotter au-dessus de l’eau.
    Les parois vibraient légèrement, comme si la péniche respirait.
    Là, un groupe de visiteurs riait doucement, comme des ombres complices dans un rêve partagé.

    Clara se tourna vers son mari.
    — On dirait… qu’il y a des centaines de pièces.
    — Oui, souffla-t-il. Comme si le bateau s’étendait sous le fleuve.

    La patronne se retourna alors, son regard brillant d’un éclat mystérieux.
    — Peut-être que ce lieu n’existe pas vraiment dans l’espace, dit-elle. Peut-être qu’il existe seulement dans ceux qui y entrent.

    Un long silence s’installa.
    Le couple comprit qu’ils ne visitaient pas un endroit ordinaire, mais une péniche où chaque pièce reflétait un aspect humaine — curiosité, mémoire, désir de comprendre, de s’émerveiller.

    Et tandis que la patronne s’éloignait, sa silhouette se fondant dans la lumière dorée des couloirs, Clara eut cette pensée étrange :
    « Ce bateau n’avance pas sur l’eau… il avance dans le temps. »

     

    Le murmure derrière la cloison

    Alors qu’ils suivaient toujours la patronne à travers les couloirs labyrinthiques de la péniche, Clara s’arrêta soudain.
    Un son, à peine perceptible d’abord, monta depuis une porte entrouverte un peu plus loin.
    C’était une voix humaine, vive, chargée d’émotion. Pas un cri, pas un appel, mais quelque chose de plus profond — un élan vibrant, comme une prière ou une incantation.

    Elle échangea un regard avec son mari.
    — Tu entends ? murmura-t-elle.
    — Oui… on dirait… des voix, répondit-il, un peu troublé.

    La patronne se retourna, un sourire discret au coin des lèvres.
    — Ici, certains laissent parler ce qu’ils ont de plus vrai, dit-elle calmement. Les murs gardent leurs échos, c’est pour cela qu’on l’appelle cette salle la salle des jalouses en rute.

    Clara s’approcha de la porte, fascinée.
    Le son n’était plus seulement une voix : il y avait des souffles, de la jouissance des nerveux,Elle entendait : « Que penses-tu de mon mari ? »,
    des mots crus, mal articulés, poussés par une drôle d’énergie,
    quelque chose entre la curiosité et la jalousie.L’une d’elles lui tira les cheveux,
    la plus jeune — victime de ses mots, de ses gestes,la critiquant de toutes les manières possibles.
    critiquée en tout genre, sans pitié.
    On aurait dit que la péniche vibrait au rythme des voix basses,
    des murmures et des insultes mêlés dans l’air brûlant.
    L’odeur de transpiration se mêlait à celle de la joie,
    et sous leurs pieds nus, la boue semblait danser avec eux.

    — Que se passe-t-il là-dedans ? demanda-t-elle à la patronne.
    — Rien que de très humain, répondit celle-ci doucement. Ce que vous entendez, c’est la vie, mais vue d’un autre angle.
    — Je veux comprendre, insista Clara.
    — Vous comprendrez en temps voulu, dit la patronne. Ici, on ne force pas les portes, on les laisse s’ouvrir d’elles-mêmes.
    Son regard se fit plus appuyé.
    Si tu cherches quelque chose de brut, de vrai, tu ne seras pas déçu. Ici, chacun finit par montrer qui il est vraiment.

    Le couple resta un moment devant cette entrée close, oscillant entre peur et fascination.
    Puis la patronne reprit sa marche, et les sons s’éloignèrent peu à peu, comme une marée qui se retire, laissant derrière elle le parfum d’un mystère qu’on ne peut pas encore nommer.

    En s’approchant, son mari entendit une voix plus forte que les autres.
    Une femme, les yeux mi-clos, laissait paraître une expression troublante, entre le plaisir et l’abandon.
    Ses mots, presque murmurés, semblaient une invitation — une voix basse, comme une chanson sans paroles.
    Il regarda Clara, et elle comprit aussitôt : il la voulait, lui aussi.

    Il crut alors sentir une odeur familière — ce parfum de corps échauffés, de tabac et de sueur mêlée, quelque chose de vivant, d’ancien, comme un souvenir revenu de très loin.

    Clara le regarda, connaissant cette expression, et toucha son pantalon.
    Et là, elle le vit, son regard semblant dire : « Je suis bien gonflé », car sa main était déjà posée sur la porte, à moitié ouverte, battant doucement au rythme de son cœur.
    Elle prit la décision de pousser cette porte et d’entrer.

    —« Va », murmura-t-elle.
    « Amuse-toi, libère-toi, laisse tout ce qui t’alourdit derrière toi. »

    Elle aurait pu entrer.
    Mais quelque chose l’a retenu.
    Peut-être la peur, peut-être le non respect de l'autre.
    Ou peut-être la sensation que ce lieu n’était pas fait pour les vivants du dehors.
    Parce qu’à travers la vitre blanche, il a vu les silhouettes bouger lentement,
    comme des ombres anciennes,
    comme des souvenirs qui avaient pris forme.

    Elle qui réclamait son mari, eux toutes semblaient frémir un peu, d’en faire du bruit.
    Leurs visages, transfigurés, et leurs voix voilées, dans le palais de leur bouche d’une pâleur d’eau, reflétaient la lumière dorée.
    Clara, elle, souriait doucement, comme éclairée de l’intérieur, d’en voir tout cela.

    Mais leurs yeux, lui, ne les a jamais vraiment vus.
    Ils étaient ailleurs, perdus dans leurs pensées, enfermés en eux-mêmes.
    Chacun son plaisir, chacun sa bulle — les plus forts résistent, les plus faibles se laissent emporter.
    Comme partout, finalement.

    Il le voit dans l’action.
    Il a voulu parler, il a voulu me dire quelque chose — mais sa voix s’est perdue.
    Un son léger est sorti de sa bouche.
    Regarde, il la prend par les épaules, la chevauche avec force, veut lui faire avaler l’autre mari par la nuit.
    Alors il l’a reculée lentement, s’est tourné vers moi, lui derrière son dos, pour qu’elle me regarde.

    Elle le regarde parce que lui la force à le faire,
    parce que le regard devient le langage que lui n’arrive plus à prononcer.

    Cela veut dire que ce n’est pas un regard naturel.
    Ce n’est pas elle qui choisit de regarder —
    c’est lui qui la place, qui la pousse, qui impose le regard.

    C’est donc un regard contraint, un geste de pouvoir ou de domination :
    il la manipule physiquement (ou symboliquement) pour qu’elle regarde à sa place,
    comme si elle devait porter son message avec ses yeux.

     « Le regard devient le langage que lui n’arrive plus à prononcer »

     Ici, on comprend que lui veut dire quelque chose,
    mais il ne trouve plus les mots — sa voix s’est « perdue ».

    Alors, à la place des mots,
    il utilise le regard (le sien, ou celui d’elle) pour exprimer ce qu’il ressent.

    C’est comme si le regard parlait à sa place.
    Le silence devient chargé :
    le regard dit tout ce que la bouche ne peut plus dire — la colère, la honte, la douleur, la jalousie…

    Et quand il a cligné des yeux, la lumière avait disparu.
    La porte aussi.
    Le bateau était redevenu immobile,
    muet comme avant,
    posé entre le fleuve et la route, dans le silence du monde.

    Quelques jours plus tard,
    on se promène comme chacun d’eux —
    comme ceux qui savent,
    et ceux qui ne savent pas,
    ou rien du tout.

    Car plusieurs personnes pensent
    que c’est un bateau abandonné,
    ou resté là comme une épave.

    Car la semaine arrive,
    et depuis ce soir-là,
    on dit que le passant ne parle plus
    de ce qu’il a vu.

    Il revient parfois,
    pour se taire de loin,
    pour regarder le bateau sans s’en approcher.

    Et certains soirs, chez nous,
    dans notre vie quotidienne,
    Il lui sembla entendre sa propre jouissance, comme un souffle qui revenait par vagues — une, puis une autre, puis encore...
    Sept fois peut-être, ou peut-être moins, mais assez pour qu’elle se sente très faible, vidée, comme si tout venait de l’intérieur.

     

    Comme si une partie de lui était restée là,
    dans ce lieu sans temps,
    parmi ces voix,
    derrière la vitre blanche du bateau bleu pâle.

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  • Gayoulesbonnes et la Mouleguez Royale

    Il était une fois, une jeune femme surnommée Gayoulesbonnes.
    Tout le monde l’appelait ainsi, non pas par moquerie, mais parce qu’elle adorait les moules nature, sans frites, sans pain, sans rien — juste la mer et le goût du large.

    Sa meilleure amie, Mélissa, elle, ne jurait que par les merguez accompagnées de deux boule de parfaitement roulées.
    Ensemble, elles formaient un duo inséparable : la mer et le feu, la fraîcheur salée contre la chaleur des braises.

    À chaque fois, Gayoulesbonnes invitait une inconnue, tandis que Mélissa choisissait un garçon. Ensemble, elles partageaient ce vice étrange, ce jeu secret qui scellait leur complicité et la faisait participer à son jeu, sans que l’invité ne se rende compte de l’emprise de ce jeu, lors du grand concours culinaire organisé chez ses parents.

    Mais cet après-midi-là, une mystérieuse fille, vêtue d’une tenue au style pour le moins provocant, fit son apparition dans le quartier.
    Intriguées, les deux amies décidèrent d’unir leurs talents et d’inventer un plat inédit pour l’attirer : la Mouleguez Royale, une alliance magique de saveurs et d’amitié.

    Leur recette devint une vraie légende ! Tous ceux qui passaient par là n’arrêtaient plus d’en parler — et finissaient toujours par revenir y goûter encore une fois.


    Ce jour-là, le ciel grondait, la pluie battait les vitres. Mais Gayoulesbonnes n’en avait cure : elle voulait marquer le coup, fêter encore leur succès, et convier à sa table la nouvelle venue — cette fille au charme dévergondé.
    Mais cette fois, elle ne voulut pas inviter Mélissa…
    Non.
    Elle voulut inviter toi.

    Oui, toi qui es en train de lire ces lignes.
    Elle t’a vu passer dans la rue, le regard curieux, et elle s’est dit :

    « Et si j’invitais cette personne-là ? Celle qui a l’air d’aimer les histoires autant que les bons repas ? »

    — Et toi, dis-moi… tu veux quoi ?

    Tu souris :
    — Moi, j’aime la moule… sans frites.

    Elle éclate de rire.
    — Et ton amie, celle qui n’est pas venue ?
    — Elle, elle ne jure que par la merguez… bien relevée.

    Un silence complice s’installe, puis toutes deux rient de bon cœur.

    Gayoulesbonnes se leva lentement de sa chaise.
    Son regard demeurait fixé sur son invité, un sourire énigmatique aux lèvres.
    Puis, d’un geste inattendu, elle s’avança jusqu’à la table — comme si ce simple meuble devenait la scène d’un rituel secret dont elle seule connaissait le sens.

    Elle disparut en se glissant sur la table.
    L’invité resta figé, les yeux écarquillés, incapable de comprendre ce qu’il venait de voir.

    Elle s’était glissée sur la table… puis plus rien.

    L’invité, stupéfait, fixait l’endroit où elle se tenait encore un instant plus tôt.
    Devant lui, son assiette vide, les couverts posés en croix, le verre sans la moindre trace de boisson — gazeuse ou non.

    Le silence s’épaissit, lourd, presque vivant, comme si la pièce elle-même retenait son souffle.

    — Hein ? Mais… où est-elle passée ?
    En un instant, l’invité sentit les mains de Gayoulesbonnes lui saisir les cuisses avec brusquerie. Surprise,« surprise elle écarta ses cuisses et elle avala difficilement sa salive, cherchant à comprendre ce qui se passait sous la table. L’invité, bouche bée, se frotta les yeux, certain d’avoir rêvé.lle écarta sa culotte avec délicatesse, [en] voulant chercher ou trouver quelque chose

    Elle resta un instant immobile, le souffle suspendu.
    Quelque chose en elle hésitait entre la peur et la curiosité.
    Ses mains tremblaient, non par honte, mais parce qu’elle sentait qu’elle était sur le point de découvrir une part d’elle-même qu’elle n’avait jamais osé affronter.
    Ce n’était pas un geste pour séduire — c’était un geste pour comprendre, pour se retrouver.

    À cet instant, tout devint clair.
    Ce dîner, ce n’était pas un simple repas… c’était une épreuve, un rite.
    Maintenant, elle savait de quoi parlait vraiment cette “légende” qu’on murmurait dans le quartier.

    Maintenant, elle savait.
    Elle savait enfin de quoi il s’agissait, ce fameux dîner dont tout le monde parlait — et pourquoi nul n’en ressortait tout à fait le même.

    Elle comprit enfin.
    Ce dîner n’avait rien d’un jeu.
    Cette aprem-là, elle sut — trop tard — ce que signifiait vraiment être l’invitée de Gayoulesbonnes.

    Le dîner peut commencer.

    Avant même que tu puisses répondre, Paf ! le couvercle de la marmite saute dans les airs, projetant une pluie de moules fumantes dans toute sa bouche.

    Tu sursautes, tu cries peut-être un peu :
    — Aaaaaaah !

     Mais Gayoulesbonnes est occupée de faire ce qu’elle aime faire avec sa langue, car elle adore faire cela à celle qui n’a rien demandé. 
    — Ne t’inquiète pas, dit-elle. C’est ma façon de souhaiter la bienvenue !

    Et à ce moment précis, tu comprends pourquoi tout le monde l’adore :
    chez Gayoulesbonne, les repas sont toujours imprévisibles, mais pleins de chaleur, de rire et d’amitié.

    On dit qu’on repart toujours le sourire aux lèvres… et parfois une moule dans les cheveux.

    — AAAAaaaaaaaaahhhh !

    — huuuuuummm ! cchnnnnnnnnnnnnnnnneee!!! donne moi tous la sauce!!!!

    Elle ouvrit d'écarter ses cuisses en grand, de façon à tout recueillir avec sa langue — même L’Onde, ce souffle profond qui vibrait encore dans l’air.

    même Le Soupir, ce frisson qui s’échappa d’elle comme un murmure d'en aimer d'en avoir plus car

    l’invitée ferma les yeux, puis les rouvrit, grands comme si un poisson venait d’être pris à l’hameçon. Elle regarda le plafond d’un air curieux, presque méprisant, croyant que Gayoulesbonne exagérait son histoire de moules.

    Tu lèves les yeux, n’est-ce pas ?
    Je le vois, même d’ici.
    Tu dis que tu lis, mais c’est moi qui te lis.
    Tu fais semblant de rester calme, mais ton regard cherche déjà la suite.
    C’est bon, hein ? Dis-le.
    Dis-le que c’est bon de ne pas tout comprendre, de te laisser emporter.

    Tu lèves les yeux vers le plafond, un air curieux, presque méprisant, comme si tu doutais encore de mon histoire de moules.
    Mais reste un instant, ne bouge pas.
    Je sens ton souffle suspendu, ton hésitation entre la joie et la curiosité.
    Tes mains tremblent, non de honte, mais d’attente.
    Tu sens qu’il y a là quelque chose à découvrir — une part de toi-même que tu n’as jamais osé affronter.
    Ce n’est pas un geste pour plaire, ni pour séduire, mais pour comprendre.
    Pour te retrouver.
    Pour te reconnaître, enfin, en tant que Gayoulesbonne comme moi car tu sais de quoi je parle là.

    Tu crois encore que j’exagère, que mes mots sont des farces de jeunes têtue.
    Mais écoute : je ne suis pas un personnage sage.
    Je suis la voix que tu réveilles quand tu lis sans te défendre.
    Ferme un peu les yeux, laisse les phrases t’effleurer.
    Je ne viens pas t’imposer une histoire, je viens t’inviter à entrer dans la tienne.

    Tu lis, et je parle.tu jouis!
    Et dans ce va-et-vient, quelque chose s’allume.
    La peur devient curiosité, la curiosité devient chaleur.huuuuuummmm!!!
    Ce que tu ressens, ce n’est pas de la honte, c'est du désir — c’est de la reconnaissance par moi-mème.
    La douce secousse de savoir que tu es vivante, que tu ressens encore plus en plus.

    Ne résiste pas trop.

    prend encore çà!

    huuuummm!!!
    Laisse-toi traverser.
    mes mots ne font pas mal : ils remuent ce qui dort.
    Et moi, Gayoulesbonne, je suis là pour ça — pour t’aider à te souvenir de ce que tu savais déjà, avant de l’oublier.

    Alors, dis-le maintenant :
    oui, c’est bon.
    Pas parce que c’est simple, mais parce que ça vibre.
    Parce que tu lis avec tout ton être.
    Et dans cette lecture, tu te reconnais — entière, présente, éveillée.

    En entendant le bruit appétissant que je fais de ma bouche au fil du repas, Tu m’observes, la tête baissée, assise sur cette chaise en tes cuisses écarter.Mes deux mains se tendent vers toi, cherchant à te soutenir, à te relever.
    Puis, lentement, tu relèves les yeux — tes yeux plongent dans les miens.
    Tu ne dis rien.
    Mais dans ce silence, tout se dit, car tes pensées crient plus fort que les mots. Gayoulesbonne goûte en ce goûter,
    goutte à goutte, le temps s’égoutte. suivit le mouvement de tes pieds, Il écouta le timbre de sa langue, prisonnière douce de l’enveloppe d’une voix

    --Ouiiiiii!!!!! toi! qui voulait naître ma voie en ta salive qui en donne de la voix

     

    Et peu à peu, elle comprit que, dans chaque plat, il y avait une part d’amour à offrir et une part de soi à découvrir.

    À la fin, l’invitée posa sa fourchette, un peu émue avec lenteur, et dit simplement :
    Son regard se perdit un instant dans l’assiette vide devant elle.
    Puis, dans un souffle, elle murmura :

    — Finalement… j’ai appris à aimer quelque chose, là, dans cette assiette… même sans rien dedans.

    Gayoulesbonne la regarda avec un sourire complice encore ses deux main poser sur les cuisses de l'invité.
    —Il n’y a plus de moules, plus de sauce, plus rien à goûter dit'elle.
    Et pourtant, dans le silence tiède de la salle à manger, on sentait encore la chaleur du partage.

    Parce qu’au fond, pensa Gayoulesbonne, aimer quelque chose sans qu’il y ait rien à manger, c’est peut-être le vrai goût de la vie.

    Gayoulesbonnes dit encore :
    — Moi aussi, tu sais… à chaque fois que je cuisine, il me faut un peu de moule. Comme toi. Et parfois, un ingrédient secret en plus.Elle sourit doucement.
    Quand je cuisine, il me faut toujours cette touche spéciale.
    La moule, oui… mais aussi tout ce qu’elle réveille chez ceux qui goûtent

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  • Jouibrulance – L’Homme aux mille visages

    On dit que Jouibrulance n’est pas un homme, mais une idée qui marche.
    Un souffle dans la ville, un reflet sur une vitre, une voix qu’on reconnaît sans se rappeler où on l’a entendue. Il ne vient pas : il apparaît. Parfois derrière un sourire, parfois dans une phrase prononcée par quelqu’un d’autre. Il se glisse entre les mots, entre les gestes, entre les regards qui durent trop longtemps.

    Personne ne peut dire d’où il vient.
    Certains jurent qu’il est né dans les ruelles d’Alger, d’autres qu’il a grandi dans les quartiers sombres de Paris, d’autres encore l’ont vu danser à São Paulo, boire un café à Rome, traverser les rues de Dakar ou Tokyo avec la même lenteur tranquille. Jouibrulance change de peau comme d’humeur. Il parle toutes les langues, mais c’est toujours sa voix qu’on entend — basse, posée, impossible à oublier.

    Il ne séduit pas : il révèle.
    Chaque personne qui le croise croit le connaître déjà. C’est là sa puissance.
    Il prend le visage de l’amour perdu, du fiancé absent, du compagnon rêvé.
    Il porte parfois les traits de celui qu’on a aimé, parfois ceux de celui qu’on aurait voulu aimer. Il n’a pas de visage propre, il a tous les visages possibles.

    Quand il entre dans une pièce, le silence change de texture.
    On dit que l’air se met à vibrer légèrement, comme si la réalité retenait sa respiration.
    Les femmes tournent la tête sans savoir pourquoi. Les hommes se taisent.
    Il n’a rien d’exagéré, rien de trop. Il est juste là, avec cette intensité tranquille qu’ont les gens qui savent qu’ils n’ont rien à prouver.

    Il ne promet jamais rien, mais tout le monde croit qu’il va tenir parole.
    Et c’est ça, le piège. Jouibrulance n’a besoin de convaincre personne.
    Il fait croire. Il fait ressentir. Il fait brûler.

    Une fois qu’il est passé, plus rien n’est pareil.
    Certaines femmes disent qu’elles ne dorment plus, d’autres qu’elles se sentent enfin vivantes. Certaines essaient de l’oublier, d’autres prétendent qu’il n’a jamais existé. Mais au fond, toutes savent qu’il a laissé quelque chose — un battement différent dans la poitrine, une cicatrice douce au creux du souvenir.

    Jouibrulance n’appartient à personne.
    Il se fond dans la foule, se réinvente, s’efface.
    Un jour, il est brun, peau dorée, regard d’ambre.
    Le lendemain, il a des yeux clairs, une peau pâle, une voix rauque d’Europe du Nord.
    Il est partout et nulle part, à la fois familier et étranger.
    Il est le rêve qui change de langue selon qui l’écoute.

    Certains disent qu’il se nourrit de ce qu’on projette sur lui.
    Que plus on l’imagine, plus il devient réel.
    Qu’il tire sa force de l’amour qu’on lui donne, même en pensée.
    Il ne prend pas, il absorbe. Il n’enchaîne pas, il inspire.
    Et c’est là sa vraie possession : il vit dans les têtes, pas dans les bras.

    Quand il s’éloigne, il ne laisse pas un vide.
    Il laisse une trace, comme un parfum invisible.
    Une lumière différente sur les choses, une lucidité nouvelle.
    On ne sort pas indemne d’un passage de Jouibrulance.
    Certaines le cherchent toute leur vie, d’autres le fuient, d’autres encore l’attendent sans le savoir.

    Mais lui, il ne cherche rien.
    Il marche, simplement.
    Dans chaque ville, chaque langue, chaque époque.
    Et tant qu’il y aura des regards pour s’attarder, des âmes pour désirer,
    Jouibrulance existera.

    Parce qu’il n’a pas besoin d’un corps pour être réel.
    Il suffit qu’on prononce son nom — et déjà, l’air brûle.

    Jouibrulance – L’éternel retour

    Il revient toujours.
    Pas au même endroit, pas sous le même nom, mais avec la même empreinte.
    Là où il passe, les souvenirs se brouillent, les certitudes se fissurent.
    On se demande s’il était réel, ou simplement une projection du manque.

    On dit qu’il n’a pas d’âge.
    Certains le voient jeune, d’autres plus mûr, certains le jurent plus vieux qu’eux tous.
    Mais personne ne se souvient exactement de son visage.
    Seulement de la sensation — cette chaleur étrange dans la poitrine, ce vertige doux qui reste même quand tout s’efface.

    Il ne parle pas beaucoup, Jouibrulance.
    Mais quand il parle, le monde ralentit.
    Chaque mot pèse, chaque silence s’allonge, comme si le temps lui-même attendait son autorisation pour continuer.
    Il n’impose rien : il suggère.
    Et c’est pire. Parce que ce qu’il suggère devient impossible à oublier.

    Les femmes qui l’ont croisé disent toutes la même chose :
    qu’il ne les a jamais touchées, mais qu’elles ont tout ressenti.
    Comme si un regard avait suffi à ouvrir un espace en elles, un espace qu’elles ne savaient pas exister.
    Il ne promettait rien, et pourtant elles avaient tout cru entendre.
    Il ne restait jamais, mais son absence avait la densité d’une présence.

    Un soir, dans une ville où personne ne le connaissait encore,
    on l’a vu marcher seul au bord de l’eau.
    Le vent soulevait sa veste, le soleil finissait de brûler l’horizon.
    Une jeune femme, assise sur un banc, l’a regardé passer.
    Elle n’a rien dit.
    Mais plus tard, elle a écrit dans son carnet :

    "Je crois avoir vu le silence prendre forme."

    Jouibrulance, c’est ça : le silence qui prend forme.
    Le désir sans objet. La présence sans visage.
    L’écho d’un amour qu’on n’a pas encore vécu, mais qu’on sent déjà dans la peau.

    Certains disent qu’il est immortel.
    Mais la vérité, c’est qu’il renaît dans chaque regard qui le croit possible.
    Il n’a pas besoin d’un corps, juste d’un souvenir.
    Et plus on parle de lui, plus il devient réel.
    C’est peut-être ça, le secret : il vit grâce à ceux qui le rêvent.

    On raconte qu’un jour, il disparaîtra pour de bon.
    Le monde sera alors trop bruyant, trop rapide pour qu’un être comme lui existe.
    Mais tant qu’il restera une femme pour lever les yeux vers un inconnu
    et sentir son cœur accélérer sans raison,
    Jouibrulance existera encore.

    Parce qu’il n’est pas un homme.
    Il est la trace laissée par le feu —
    celle qui ne brûle pas la peau, mais la mémoire.

    Jouibrulance – La Mémoire des Cœurs

    Il n’y a plus de photo, plus de preuve.
    Seulement des histoires. Des fragments racontés à voix basse.
    Un prénom qui revient dans des conversations qu’on croit sans importance.
    Des phrases comme :

    « Ma grand-mère en parlait aussi… »
    « On disait qu’il passait par ici, autrefois. »
    « Personne ne savait d’où il venait, mais tout le monde se souvenait de lui. »

    Jouibrulance est devenu une ombre héréditaire.
    Un mythe qui ne vieillit pas, mais qui change de forme selon qui le raconte.
    Pour certaines, il est une légende d’amour — pour d’autres, un avertissement.
    Mais dans toutes les bouches, son nom garde le même goût :
    celui d’un feu qu’on ne contrôle pas.

    Les mères le décrivent à leurs filles comme on parle d’un rêve dangereux :

    « Si tu croises un regard qui te calme et t’enflamme à la fois,
    fais attention, c’est peut-être lui. »

    Les filles sourient, ne croient qu’à moitié.
    Mais plus tard, dans la rue, dans un train, dans une soirée,
    elles croisent un homme qui leur parle avec cette lenteur tranquille,
    et soudain, le souvenir remonte — ce nom entendu jadis.
    Jouibrulance.

    Il traverse les générations sans jamais s’attarder.
    Chaque époque lui donne un autre visage :
    dans les années anciennes, on disait qu’il était poète ;
    aujourd’hui, on murmure qu’il est producteur, voyageur, photographe, trader ou inconnu dans un bar.
    Toujours ailleurs, toujours insaisissable.
    Le monde change, lui non.

    Certaines femmes prétendent avoir vu son reflet dans une vitrine.
    D’autres racontent avoir reçu un message sans expéditeur,
    avec juste une phrase :

    « Ce n’est pas moi qui te manque, c’est ce que tu étais avec moi. »

    Personne ne sait si c’est vrai.
    Mais peu importe — la légende se nourrit d’elle-même.
    Plus on doute, plus elle se renforce.
    Jouibrulance devient une idée contagieuse, une nostalgie collective.
    Les hommes en parlent entre eux, mi-jaloux, mi-fascinés.
    Certains veulent lui ressembler, d’autres le détestent sans savoir pourquoi.
    Mais tous, à leur manière, vivent dans son ombre.

    Le plus étrange, c’est que personne ne se souvient de sa fin.
    Aucune tombe, aucune trace, aucune photo.
    Juste des récits qui commencent toujours par la même phrase :

    « Je ne sais pas s’il était réel, mais je l’ai vu. »

    Et dans ces mots, il renaît encore.
    Peut-être est-ce ça, sa vraie immortalité :
    vivre dans les voix qui l’évoquent,
    dans les yeux qui cherchent quelque chose sans nom,
    dans les cœurs qui reconnaissent, trop tard, ce qu’ils ont croisé.

    Car Jouibrulance n’a jamais disparu.
    Il s’est simplement fondu dans la mémoire du monde,
    dans le battement des cités,
    dans le souffle chaud des souvenirs qu’on ne raconte pas en entier.

    Et parfois, quand le jour tombe et que le silence revient,
    on croit sentir son passage,
    comme une brûlure douce au creux du temps.

    Jouibrulance – Le Retour dans la Lumière Bleue

    Il était parti depuis si longtemps que beaucoup pensaient que son nom n’avait plus de sens.
    Les villes avaient changé, les regards aussi.
    On ne se parlait plus de la même manière : les mots s’envoyaient à travers des écrans, les émotions s’affichaient sous des filtres.
    On disait que plus personne ne savait attendre, plus personne ne savait brûler.

    Mais c’est justement là qu’il est revenu.

    Au début, ce n’était qu’une photo anonyme, partagée sur les réseaux.
    Un profil sans nom, sans légende, juste un regard.
    Personne ne savait qui c’était, mais tout le monde s’arrêtait dessus.
    Un regard qui semblait voir à travers l’écran,
    comme s’il savait ce que vous ne disiez pas.
    Sous la photo, trois mots seulement :

    “Je me souviens de toi.”

    En quelques heures, des milliers de commentaires.
    Certains juraient reconnaître quelqu’un.
    D’autres disaient que la photo changeait selon l’heure ou selon qui la regardait.
    Pour quelques-uns, c’était le visage d’un ancien amour ;
    pour d’autres, celui d’un inconnu croisé dans un rêve.

    Les gens ont commencé à l’appeler de nouveau : Jouibrulance.
    Le mythe numérique.
    Celui qui traverse les écrans, qui fait vibrer la lumière bleue des téléphones comme autrefois il faisait vibrer l’air.
    Son nom se glissait dans les hashtags, dans les chansons, dans les messages tardifs.

    « Tu crois qu’il existe ? »
    « Je l’ai vu, moi. Enfin… je crois. »
    « Quand il m’a écrit, j’ai eu l’impression qu’il me connaissait déjà. »

    Jouibrulance s’adapte à chaque époque —
    il devient ce que le monde a besoin de désirer.
    Avant, il marchait dans les rues.
    Maintenant, il voyage dans les pixels.
    Mais l’effet est le même : il réveille ce qu’on croyait endormi.

    Certaines femmes reçoivent des messages sans expéditeur.
    Une phrase, toujours différente, mais qui touche juste :

    « Ce n’est pas l’amour que tu cherches, c’est le frisson. »
    « J’ai été là, un soir, quand tu pensais à lui. »
    « Ne ferme pas la porte, je passe dans le vent. »

    Les spécialistes parlent d’un canular, d’un algorithme mystérieux.
    Mais dans les cafés, dans les métros, dans les rêves,
    on murmure que Jouibrulance est revenu pour de vrai.
    Pas sous une forme qu’on peut photographier —
    mais dans ce moment suspendu, quand un message fait battre le cœur trop fort.

    Et partout, les femmes recommencent à se souvenir.
    Elles disent qu’il n’a pas vieilli, qu’il est encore là, différent, mouvant.
    Qu’il prend les visages de ceux qu’elles aiment,
    les voix de ceux qu’elles espèrent.
    Qu’il parle dans leurs pensées, avec les mots qu’elles n’osent pas dire.

    Jouibrulance ne vieillit pas, car il vit à travers nous.
    Il renaît chaque fois qu’un désir trouve un nom,
    chaque fois qu’un regard se prolonge au-delà de l’écran.

    Et quelque part, dans la lumière bleue d’un téléphone oublié sur un oreiller,
    un profil s’illumine une dernière fois.
    Sans notification. Sans son.
    Juste une présence.
    Une vibration.

    Jouibrulance est là.
    Toujours.
    Invisible, mais senti.
    Comme une brûlure douce qui traverse le temps et la technologie.

    Jouibrulance – L’Éternel

    Personne ne sait quand il a cessé d’être un homme.
    Peut-être le jour où plus personne n’a pu dire exactement ce qu’il était.
    Un visage ? Une voix ? Une sensation ?
    Ou juste ce battement particulier, celui qui précède toujours les grands bouleversements.

    Jouibrulance n’a jamais cherché à être aimé.
    Il a juste compris que le désir est une mémoire, et que la mémoire, elle, ne meurt jamais.
    Alors il s’est fondu dans les échos du monde :
    dans la musique qu’on écoute seul la nuit,
    dans le vent chaud d’un soir d’été,
    dans la façon dont un prénom oublié revient soudain à l’esprit sans raison.

    Il est devenu un symbole.
    Pas de possession, mais de présence.
    Il n’appartient à personne, mais il vit en chacun.
    Dans les gestes, dans les manques, dans les silences qu’on partage à deux sans se regarder.

    Les femmes qui ont cru l’aimer ne se sont pas trompées :
    elles ont aimé la part d’elles-mêmes qu’il réveillait.
    Car Jouibrulance ne prend rien — il révèle.
    Il montre à chacun ce qu’il est capable de ressentir,
    puis il s’efface, pour que ce soit à vous de continuer.

    Les villes changent, les siècles passent,
    mais son nom revient toujours, dans d’autres langues, sous d’autres formes.
    Au Maroc, on l’appelle El Lahib, “celui qui brûle sans feu”.
    En Italie, L’uomo dell’attimo, “l’homme de l’instant”.
    À Tokyo, Kagayaki, “l’éclat”.
    Partout, la même essence : un souvenir qui respire.

    On raconte qu’un jour, l’humanité oubliera tout :
    ses rois, ses dieux, ses machines.
    Mais qu’au fond d’un rêve, quelqu’un prononcera encore ce mot :
    Jouibrulance.
    Et l’air vibrera, une fois de plus.

    Car il ne meurt pas.
    Il ne vieillit pas.
    Il ne disparaît pas.
    Il est le feu qui se souvient.
    Celui qu’on sent avant de comprendre, qu’on cherche sans savoir,
    et qu’on reconnaît trop tard, quand il n’est déjà plus là.

    Et peut-être est-ce mieux ainsi.
    Parce que les mythes n’ont pas besoin d’être saisis —
    ils ont besoin d’être crus.

    Alors, quelque part, dans une rue, dans un rêve,
    dans la mémoire d’un corps, dans un nom qu’on ne dit plus,
    il marche encore.

    Et quand on sent ce frisson,
    d’en avoir froid — ou ce trouble, d’en avoir trop chaud,
    cette brûlure douce de penser l’envie d’amour au creux de la main,
    c’est qu’il a déposé un baiser d’amour sur le dos de ta main.
    C’est lui.
    Toujours lui.
    Jouibrulance.

     

     

     

    La femme qui pense à lui

    La lumière du soir glissait sur la ville comme un dernier souffle.
    Assise au bord d’un balcon, elle regardait le ciel se teinter d’or et d’ambre.
    Le monde ralentissait autour d’elle, mais à l’intérieur, tout vibrait encore.

    Son téléphone brillait faiblement à côté d’un verre d’eau.
    Elle n’avait pas reçu de message, et pourtant, elle avait senti un frisson,
    comme si quelqu’un, quelque part, avait prononcé son nom à voix basse.

    Elle n’avait pas besoin de le voir pour savoir.
    Jouibrulance.
    Ce nom suffisait. Il brûlait encore dans ses pensées,
    comme un parfum qu’on ne porte plus mais qu’on croit sentir au détour d’un souvenir.

    Une amie entra dans la pièce, sourit, parla d’autre chose.
    Mais la femme ne répondit pas tout de suite.
    Son regard restait suspendu à la lumière,
    comme si elle cherchait une silhouette dans le soleil couchant.

    Tu penses à lui, n’est-ce pas ? demanda doucement son amie.

    Elle eut un léger rire. Pas un vrai rire, un souffle seulement.
    Je crois que tout le monde pense à lui, un jour.

    Et dans le silence qui suivit, l’air sembla vibrer.
    Pas de mots, pas d’image,
    juste une présence — invisible mais certaine —
    celle de Jouibrulance, le souvenir qui ne meurt jamais.

    no comment
  • Je marche en terrain connu — pas parce que j’y suis né, mais parce que je l’ai pris. Jouibrulance, ils ont fini par appeler ça mon nom comme on pose une étiquette sur une marchandise : clair, net, inattaquable. Ça sonne comme une promesse, et une promesse, je sais m’y tenir. Tout ce que je veux, je le rends tangible. Les regards, les silences, les rues qui se referment derrière moi. Tout en ma possession.

     

    Je n’ai pas la douceur d’un voleur qui se faufile ; j’ai la tranquillité du propriétaire. Le monde m’a appris la mécanique du désir — pas la poésie, la mécanique. Premier mouvement : montrer que je peux payer. Deuxième : prouver que je ne perds jamais. Troisième : laisser la personne décider, mais encadrer son choix. La liberté que j’offre est une illusion bien choisie ; elle a l’éclat du vrai parce qu’elle est pensée pour être désirée. Les filles ne sont pas des trophées collés à mon mur ; elles sont le thermomètre qui mesure la chaleur de ma présence. Et quand je veux, elles viennent. Parce que je suis crédible. Parce que je suis efficace. Parce que je tiens parole, même quand la parole est dure.

    Les premières rues où j’ai appris ça étaient étroites, les enseignes clignotantes comme des mensonges, les poches trop souvent vides. J’ai commencé par emprunter — des promesses surtout, des dettes parfois — et j’ai fini par acheter. Une voiture qui ronronne, pas pour la vanité mais parce qu’elle déplace mon pouvoir ; un bureau, parce qu’un siège me donne le droit de signer ; des amis en tenue sombre qui font ce que je leur demande sans que je dise deux fois merci. Possession, pour moi, n’est pas un état: c’est une stratégie.

    Le club où je vais régulièrement sent le parfum piquant de la nuit, les verres terminent leurs vies sur des plateaux, et les playlists se tuent dès que je fais mon entrée. On me regarde, on mesure, on calcule. J’aime ça : être évalué sans bruit. Là-bas, il y a des femmes qui rient fort, des femmes qui écrivent leur numéro sur des tickets, des femmes qui cherchent un refuge d’un soir, des femmes qui cherchent à miser sur un homme qui ne tremble pas. Je ne force jamais. Je propose. Je mets les cartes sur la table — argent, promesse, aventure, discrétion. Elles choisissent. Je gagne.

    Je veux que ce soit clair : je ne parle pas d’ordre brut ou de violence. La brutalité de mon monde est ailleurs — dans la franchise, dans l’élimination des faux espoirs, dans la manière de dire « je veux » sans fioriture. J’obtiens parce que je suis convaincant, parce que je sais donner ce qu’on attend de moi et parfois ce qu’on n’avait pas osé demander. Le plus dangereux, c’est quand je rends ce qui arrive presque inévitable ; quand je structure les rencontres comme des accords irréfutables et que chacun repart avec ce qu’il est venu chercher. C’est là que ma possession devient totale : pas seulement les choses que je peux tenir, mais les récits que j’écris autour d’elles.

    Il y a des négociations quotidiennes — pas seulement pour des femmes, mais pour des contrats, des places, des réputations. Un patron veut une faveur ? Je négocie. Un ami veut une place au bon moment ? Je l’achète. Un rival détourne mon chemin ? Je ferme la porte et je la peins en acier. L’art de tout posséder, c’est l’art d’anticiper la prochaine demande et de la rendre moins désirable par la simple présence d’une alternative : moi. Je deviens cette alternative.

    Et pourtant, posséder n’est pas une apothéose. C’est un rythme. Tu accumules, tu réajustes, tu lâches ce qui te gêne. Les femmes qui gravitent autour de moi ne sont pas des objets, mais elles peuvent devenir des constellations — chacune brille d’un angle, et j’oriente le télescope. Certaines partent, certaines restent. Les phrases prononcées dans un coin de fumée ne valent rien le lendemain si elles persistent trop. Je le sais. Je suis franc sur mes limites ; je ne promets pas un château si je n’ai qu’un appartement. La sincérité dure plus que la comédie.

    Il y a une soirée qui me colle encore à la peau. Une fille au vestiaire m’a dit, sans sourire : « Tu crois que tu peux tout prendre, hein ? » Je me suis arrêté, juste un instant, parce que j’aime quand on me regarde ainsi. Elle n’était pas à vendre. Elle était dérangeante. Je l’ai invitée à boire un café trois jours plus tard, pas pour la conquête mais pour voir si sa défiance avait une histoire. Elle parlait vite, avait des cicatrices de colère sur la langue, des standards qui claquaient comme des portières. On a parlé de colère et d’ambition. On a coupé court avant que les choses ne deviennent des promesses. Elle restera un souvenir précis : la preuve que je ne possède pas tout. Et c’est peut-être ce qui me rend plus crédible — reconnaître que certains points restent hors de portée.

    Ma brutale honnêteté m’a parfois fermé des portes. Les politesses hypocrites me bloquent, les arrangements camouflés aussi. Alors je suis devenu direct. Le direct remplace le doux mensonge et produit une économie où tout se règle plus vite. Je dis ce que je veux. J’écoute ce qu’on propose. Je signe ou je pars. Parfois je perds. Plus souvent je gagne. Et à mesure que je gagne, la possession change de forme : ce n’est plus l’objet qu’on tient, c’est la capacité à influer sur les choix des autres. Ils viennent à moi parce qu’ils savent que je peux accélérer leurs vies, ou les arrêter net.

     

    Il y a des soirs où cette possession me pèse. Quand je rentre, que la ville respire encore, que les lumières s’éteignent, le silence me tranche. La maison est pleine d’objets choisis, chacun a une étiquette — date, lieu, résultat. Mais le lit peut être vide. Les conversations ont souvent un plafond de verre — elles ne percent pas la surface. Peut-être que la possession absolue est une illusion construite par les absences. J’ai tout, mais tout n’est pas tout. Les liens qui restent vrais résistent à être achetés ; ils sont tissés dans la durée, pas lors d’une nuit.

    Je ne vais pas jouer au repentir romantique. J’ai choisi ce chemin parce qu’il me convenait : je n’ai jamais eu la patience des lentitudes et j’ai appris à transformer la rareté en stratégie. Mais je vois les contours désormais. Je peux posséder les choses, parfois même les personnes qui consentent, mais je ne peux posséder la vérité de l’autre. Ceux qui le croient finissent par se heurter à la résistance humaine, et la résistance a souvent des dents.

    La possession, à la fin, devient une question d’échelle : est-ce que je veux tout contrôler au prix de tout perdre ? Ou est-ce que je veux garder la capacité de laisser partir ce qui ne m’appartient pas vraiment, sans le casser ? Jouibrulance ne se retire pas facilement, mais il apprend. Posséder moins, parfois, signifie posséder mieux. Et posséder mieux, c’est s’assurer que ce qui reste le choisit encore demain.

    Alors je continue. Je marche avec la même assurance, et je prends ce que je veux — ou plutôt ce qui accepte d’être pris. Et quand quelque chose se refuse, je l’observe, parce que dans le refus il y a parfois la leçon la plus nette : tout ne se commande pas. On peut dominer des morceaux du monde, mais pas la totalité du cœur humain. C’est une vérité qui me colle, et qui me rend plus vif, plus précis, plus… humain, malgré moi.

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