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Jouibrulance : le Mythe du Désir
By CHANJOUISSON in Home on 8 November 2025 à 00:53
Je marche en terrain connu — pas parce que j’y suis né, mais parce que je l’ai pris. Jouibrulance, ils ont fini par appeler ça mon nom comme on pose une étiquette sur une marchandise : clair, net, inattaquable. Ça sonne comme une promesse, et une promesse, je sais m’y tenir. Tout ce que je veux, je le rends tangible. Les regards, les silences, les rues qui se referment derrière moi. Tout en ma possession.
Je n’ai pas la douceur d’un voleur qui se faufile ; j’ai la tranquillité du propriétaire. Le monde m’a appris la mécanique du désir — pas la poésie, la mécanique. Premier mouvement : montrer que je peux payer. Deuxième : prouver que je ne perds jamais. Troisième : laisser la personne décider, mais encadrer son choix. La liberté que j’offre est une illusion bien choisie ; elle a l’éclat du vrai parce qu’elle est pensée pour être désirée. Les filles ne sont pas des trophées collés à mon mur ; elles sont le thermomètre qui mesure la chaleur de ma présence. Et quand je veux, elles viennent. Parce que je suis crédible. Parce que je suis efficace. Parce que je tiens parole, même quand la parole est dure.
Les premières rues où j’ai appris ça étaient étroites, les enseignes clignotantes comme des mensonges, les poches trop souvent vides. J’ai commencé par emprunter — des promesses surtout, des dettes parfois — et j’ai fini par acheter. Une voiture qui ronronne, pas pour la vanité mais parce qu’elle déplace mon pouvoir ; un bureau, parce qu’un siège me donne le droit de signer ; des amis en tenue sombre qui font ce que je leur demande sans que je dise deux fois merci. Possession, pour moi, n’est pas un état: c’est une stratégie.
Le club où je vais régulièrement sent le parfum piquant de la nuit, les verres terminent leurs vies sur des plateaux, et les playlists se tuent dès que je fais mon entrée. On me regarde, on mesure, on calcule. J’aime ça : être évalué sans bruit. Là-bas, il y a des femmes qui rient fort, des femmes qui écrivent leur numéro sur des tickets, des femmes qui cherchent un refuge d’un soir, des femmes qui cherchent à miser sur un homme qui ne tremble pas. Je ne force jamais. Je propose. Je mets les cartes sur la table — argent, promesse, aventure, discrétion. Elles choisissent. Je gagne.
Je veux que ce soit clair : je ne parle pas d’ordre brut ou de violence. La brutalité de mon monde est ailleurs — dans la franchise, dans l’élimination des faux espoirs, dans la manière de dire « je veux » sans fioriture. J’obtiens parce que je suis convaincant, parce que je sais donner ce qu’on attend de moi et parfois ce qu’on n’avait pas osé demander. Le plus dangereux, c’est quand je rends ce qui arrive presque inévitable ; quand je structure les rencontres comme des accords irréfutables et que chacun repart avec ce qu’il est venu chercher. C’est là que ma possession devient totale : pas seulement les choses que je peux tenir, mais les récits que j’écris autour d’elles.
Il y a des négociations quotidiennes — pas seulement pour des femmes, mais pour des contrats, des places, des réputations. Un patron veut une faveur ? Je négocie. Un ami veut une place au bon moment ? Je l’achète. Un rival détourne mon chemin ? Je ferme la porte et je la peins en acier. L’art de tout posséder, c’est l’art d’anticiper la prochaine demande et de la rendre moins désirable par la simple présence d’une alternative : moi. Je deviens cette alternative.
Et pourtant, posséder n’est pas une apothéose. C’est un rythme. Tu accumules, tu réajustes, tu lâches ce qui te gêne. Les femmes qui gravitent autour de moi ne sont pas des objets, mais elles peuvent devenir des constellations — chacune brille d’un angle, et j’oriente le télescope. Certaines partent, certaines restent. Les phrases prononcées dans un coin de fumée ne valent rien le lendemain si elles persistent trop. Je le sais. Je suis franc sur mes limites ; je ne promets pas un château si je n’ai qu’un appartement. La sincérité dure plus que la comédie.
Il y a une soirée qui me colle encore à la peau. Une fille au vestiaire m’a dit, sans sourire : « Tu crois que tu peux tout prendre, hein ? » Je me suis arrêté, juste un instant, parce que j’aime quand on me regarde ainsi. Elle n’était pas à vendre. Elle était dérangeante. Je l’ai invitée à boire un café trois jours plus tard, pas pour la conquête mais pour voir si sa défiance avait une histoire. Elle parlait vite, avait des cicatrices de colère sur la langue, des standards qui claquaient comme des portières. On a parlé de colère et d’ambition. On a coupé court avant que les choses ne deviennent des promesses. Elle restera un souvenir précis : la preuve que je ne possède pas tout. Et c’est peut-être ce qui me rend plus crédible — reconnaître que certains points restent hors de portée.
Ma brutale honnêteté m’a parfois fermé des portes. Les politesses hypocrites me bloquent, les arrangements camouflés aussi. Alors je suis devenu direct. Le direct remplace le doux mensonge et produit une économie où tout se règle plus vite. Je dis ce que je veux. J’écoute ce qu’on propose. Je signe ou je pars. Parfois je perds. Plus souvent je gagne. Et à mesure que je gagne, la possession change de forme : ce n’est plus l’objet qu’on tient, c’est la capacité à influer sur les choix des autres. Ils viennent à moi parce qu’ils savent que je peux accélérer leurs vies, ou les arrêter net.
Il y a des soirs où cette possession me pèse. Quand je rentre, que la ville respire encore, que les lumières s’éteignent, le silence me tranche. La maison est pleine d’objets choisis, chacun a une étiquette — date, lieu, résultat. Mais le lit peut être vide. Les conversations ont souvent un plafond de verre — elles ne percent pas la surface. Peut-être que la possession absolue est une illusion construite par les absences. J’ai tout, mais tout n’est pas tout. Les liens qui restent vrais résistent à être achetés ; ils sont tissés dans la durée, pas lors d’une nuit.
Je ne vais pas jouer au repentir romantique. J’ai choisi ce chemin parce qu’il me convenait : je n’ai jamais eu la patience des lentitudes et j’ai appris à transformer la rareté en stratégie. Mais je vois les contours désormais. Je peux posséder les choses, parfois même les personnes qui consentent, mais je ne peux posséder la vérité de l’autre. Ceux qui le croient finissent par se heurter à la résistance humaine, et la résistance a souvent des dents.
La possession, à la fin, devient une question d’échelle : est-ce que je veux tout contrôler au prix de tout perdre ? Ou est-ce que je veux garder la capacité de laisser partir ce qui ne m’appartient pas vraiment, sans le casser ? Jouibrulance ne se retire pas facilement, mais il apprend. Posséder moins, parfois, signifie posséder mieux. Et posséder mieux, c’est s’assurer que ce qui reste le choisit encore demain.
Alors je continue. Je marche avec la même assurance, et je prends ce que je veux — ou plutôt ce qui accepte d’être pris. Et quand quelque chose se refuse, je l’observe, parce que dans le refus il y a parfois la leçon la plus nette : tout ne se commande pas. On peut dominer des morceaux du monde, mais pas la totalité du cœur humain. C’est une vérité qui me colle, et qui me rend plus vif, plus précis, plus… humain, malgré moi.
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