• « Le jour où j’ai dit non » Récit d’une femme qui a décidé de vivre.

    Ce jour-là, j’ai tout entendu

     

    Je ne voulais pas écouter.
    J’étais derrière la porte, les mains serrées sur mes genoux.
    Mais les murs, ce jour-là, n’ont pas su me protéger.
    La maison retenait son souffle, et moi avec.

    Il parlait encore, calmement, trop calmement.
    Sa voix n’avait pas besoin de crier pour me briser.
    Chaque mot tombait comme un caillou dans un puits,
    et moi, je m’enfonçais plus bas à chaque phrase.

    Au début, c’était des remarques.
    Des détails.
    Mes vêtements, ma façon de parler, mes amies, mon travail.
    Puis il a commencé à décider à ma place.
    Qui je voyais, quand je sortais, combien je dépensais.
    Je me disais que c’était de l’amour,
    que c’était normal, qu’il m’aimait “trop fort”.
    Mais l’amour ne serre pas la gorge.
    L’amour ne fait pas taire.

    Un jour, il a levé la main.
    Pas fort, pas brutalement — juste assez pour que je comprenne.
    Assez pour me faire taire.
    Et ce jour-là, ma fille était derrière la porte.
    Elle a tout entendu, comme moi autrefois.

    Je crois que c’est là que quelque chose s’est fissuré en moi.
    Quand j’ai entendu son souffle coupé, sa peur.
    J’ai compris que si je ne faisais rien,
    elle apprendrait que se taire, c’est normal.
    Alors j’ai dit non.
    Pas fort, pas héroïquement.
    Juste ce mot, minuscule et brûlant : non.

    Il a ri.
    Un rire sans son, sans regard.
    Puis il est parti.
    Et le silence qui a suivi n’était plus une menace.
    C’était un vide dans lequel je pouvais respirer.

    Les jours suivants, j’ai eu peur.
    De lui, du monde, de moi.
    J’ai eu peur de ne pas être crue,
    de ne pas être “assez battue” pour qu’on m’écoute.
    Mais j’ai quand même franchi la porte du commissariat.
    J’avais les mains tremblantes,
    un certificat dans ma poche,
    et dans mon ventre, la honte qu’on m’avait apprise.

    J’ai parlé.
    Pour la première fois, j’ai raconté tout.
    Et quand j’ai signé la plainte,
    j’ai senti quelque chose d’étrange :
    pas de soulagement, pas encore —
    mais une flamme minuscule,
    celle de la vie qui revient.

    Le soir, j’ai ouvert les fenêtres.
    Le vent est entré, libre et froid,
    soulevant les rideaux comme des promesses.
    Je me suis dit :
    Je ne guérirai pas vite, mais je suis vivante.

    Aujourd’hui, chaque porte qui claque me rappelle ce moment.
    Non plus comme une peur, mais comme une mémoire.
    Je ne suis plus celle qu’on fait taire.
    Je suis celle qui se lève,
    celle qui parle,
    celle qui existe malgré tout.

    Et quand j’entends d’autres voix trembler,
    d’autres femmes hésiter,
    je leur murmure ce que j’aurais aimé qu’on me dise :

    Tu n’es pas folle. Tu n’es pas seule. Tu as le droit de vivre.

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